par Martial RAMBAUD

 

 

Ancien boxeur, je suis devenu aujourd’hui juge/arbitre AIBA, c’est-à-dire juge arbitre mondial amateur. Mais, professionnellement infirmier psychiatrique à la base, je suis, depuis 2002, cadre de santé dans le service de psychiatrie infanto juvénile de Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher).

Ces 2 parcours en parallèle m’ont permis de réfléchir sur ce que la boxe m’a apporté depuis de mon adolescence. Alors, convaincu du bienfait de ce sport, j’ai réussi à mobiliser l’unité de soins pour ados, lieu où j’étais affecté à l’époque, pour la mise en place d’un atelier thérapeutique avec la boxe comme médiateur.

La boxe parce qu’il existe tout un imaginaire qui se construit autour de cette discipline, pourtant éminemment physique.

En préambule, il faut relater brièvement l’histoire commune entre le centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay et le club de boxe de cette ville.

 

  1. Infirmier boxeur

 

En effet, le responsable des sports du service de psychiatrie était l’entraîneur du club, et le médecin chef de ce service en était le président. De plus, la salle d’entraînement se situait dans le gymnase à l’intérieur de l’hôpital. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai choisi de venir travailler dans cet établissement.

Le soir, durant les entraînements, des patients venaient nous encourager et nous témoignaient d’un profond respect. Durant la journée, des patients s’essayaient au sac. Une fois les gants enfilés, ils étaient le champion invincible. Parmi eux, certains avaient beaucoup de difficultés à contrôler leur violence dans les services malgré leurs traitements. Le responsable des sports,lui, dans le gymnase ou ailleurs, n’avait aucune difficulté à gérer ces situations et à éviter tout débordement. Jeune infirmier, cela m’intriguait. Rapidement, je me suis aperçu que je véhiculais les mêmes choses. Dans les moments de tension, il y avait toujours une phrase comme « c’est pas parce que tu fais de la boxe..., attention c’est un boxeur, t’es un boxeur t’as pas le droit de taper... ». Et heureusement, ça fonctionnait ! Même si je cachais mes craintes, je n’étais néanmoins pas du tout rassuré !

L’expérience et l’ancienneté m’ont appris, par la suite, à ne pas renvoyer une image d’angoisse au patient en situation de crise. A l’époque, j’avais surtout confiance en mon coup d’œil et ma rapidité d’esquive.

Quelques années plus tard, le club a pris son indépendance dans un gymnase municipal. Et moi, ne m’entraînant plus, j’ai sûrement perdu mon coup d’œil et ma vélocité d’esquive.

Pourtant, je reste le boxeur suscitant un certain respect auprès des patients adultes et adolescents.

Intrigué, je me suis penché sur mon enfance, sur comment je suis devenu assidu de la salle d’entraînement dès l’âge de 12 ans. A l’époque, mes petits copains se moquaient de moi, exagérément timide et pleurnichard. Mais ils m’ont regardé différemment une fois devenu boxeur. J’ai alors pris de plus en plus confiance en moi.

Il y avait forcément quelque chose de magique qui se dégageait de la pratique de la boxe. Je savais bien que ce n’était pas réel. C’était donc de l’ordre de l’imaginaire.

 

  1. L’imaginaire autour de la boxe

 

La boxe existait déjà du temps de la civilisation grecque où la plastique du corps et le courage étaient mis en valeur (le pancrace).

Jusqu’aux années 80, la boxe est un sport violent, un sport de guerriers, où la finalité est de mettre K.O. l’adversaire en lui donnant des coups de poings. Elle est associée à la force, à la puissance, au courage. Un combattant devait faire honneur à son sport et ne pas abandonner même si le sang coulait.

C’est le sport de la réussite sociale de la première moitié du siècle. On parle de Noble Art.

Noble peut-être parce qu’à l’instar des nobles, par honneur, on meurt au combat, on ne fuit pas ; et Art parce que la technicité est au service de la créativité. C’était aussi l’art de la caste guerrière.

En boxe, l’affrontement est direct, sans objet médiateur comme un ballon par exemple. Le boxeur est ouvertement exposé à la douleur des coups, à l’humiliation de la défaite et à la mort symbolique que peut représenter le K.O. En revanche, on imagine très bien la toute puissance ressentie par le boxeur vainqueur, voire son invincibilité. Prenons par exemple Mohammed ALI et Myke TYSON au sommet de leur gloire. Ils étaient devenus inhumains dans le sens où l’homme ne pouvait pas les battre en combat régulier.

Tout cet imaginaire est relaté dans la série des films « Rocky » : réussite sociale, douleur physique, côtoiement de l’échec, de la mort mais finalement son invincibilité.

Dans chacun des films, Rocky BALBOA doit affronter un adversaire supposé supérieur à lui.

Il doit prendre le risque !

Le succès commercial dans le monde entier de ces films témoigne de l’importance du nombre de spectateurs qui se sont projetés dans les histoires de Rocky.

La boxe peut aussi être comparée avec la tauromachie ou les combats entre gladiateurs. En effet, on retrouve tous les éléments :

* La lumière intense (le soleil d’un côté, les projecteurs de l’autre)

* L’arène / le ring

* Le public venant assister à des combats ensanglantés

* Les passes / les esquives

* La mise à mort / le K.O.

* Tout le cérémonial autour de ces manifestations

Compte tenu de l’imaginaire qui gravite autour de la boxe, il me semblait intéressant de créer un « atelier boxe » pour des adolescents ayant des conduites à risques, pour les aider à élaborer.

La finalité était de les aider à verbaliser, du moins à travailler autour de ce que la boxe représente pour eux. Il n’est pas nécessaire de les mettre en situation dangereuse, l’imaginaire peut suffire. « La perception du risque a une dimension toute particulière à l’adolescence. Il existe un décalage entre risque réel et risque projeté ». La représentation du risque n’est donc pas fonction du risque réel. « L’analyse du risque par le sujet dépend de ses données affectives, individuelles et familiales ».

L’intérêt est que les adolescents se sentent dans une situation à risque. Alors, pour créer l’atmosphère, l’activité se déroulera dans la salle du club de boxe et sera animée par un éducateur sportif de la municipalité qui n’est autre qu’un ancien champion poids lourd professionnel.

Cet atelier était destiné aux adolescents souffrant d’un narcissisme défaillant et à ceux qui étaient dans la toute puissance.

 

Dans un premier temps, il est important de partir d’une définition de ce sport.

 

  1. Une définition ciblée

 

En voici une qui pourrait nous intéresser : « toucher une cible (visage, face ventrale du corps jusqu’à la ceinture) avec l’aide d’un projectile (le poing) par une gestuelle très réglementée,dans une enceinte délimitée (le ring) ».

Des variantes en découlent suivant les individus.

 

  • Le boxeur

Nous le définirons comme un adolescent avec tous les problèmes liés à cette période de la vie.

Un adolescent qui a des conduites à risques pour extérioriser son mal-être interne. Un adolescent qui veut s’autonomiser et donc tout maîtriser c’est-à-dire l’éloignement de l’adulte et s’en rapprocher quand il le désire, et de temps en temps la réussite de ses propres échecs.

Un adolescent qui peine à gérer ses transformations physiques parfois disharmonieuses.

  • La cible

Donner plus de coups que l’adversaire. Donner quelques coups sans en recevoir.

Mais la cible est vivante, humaine et n’est pas un ennemi.

  • Le projectile

Le mot projectile introduit une notion de distance entre les deux protagonistes (corps à corps / échanges à distance / éloignement et rapprochement). Mais ce projectile est le poing ; ce n’est donc pas un objet lancé. Le boxeur garde jusqu’au bout la responsabilité de l’impact (la puissance et le lieu).

  • La gestuelle

Un ensemble d’interdits réglemente la façon de donner des coups dans un souci de protection.

En effet, la maîtrise de soi est prépondérante afin de ne pas glisser vers des gestes incontrôlés et donc dangereux. Ainsi, la gestuelle permet de contrôler l’extériorisation de son agressivité dans une réalité sportive. Elle empêche de basculer dans la violence du passage à l’acte. Cette réglementation protège donc chaque sportif.

  • Le ring

Cette enceinte délimitée paraît immense pour « chercher » son adversaire, mais semble petite pour rester à une certaine distance. Le ring est un lieu fermé où il n’y a pas de porte. La fuite n’est possible qu’à l’intérieur des espaces clos.

  • L’arbitre

Il est le garant de la loi pour protéger chacun. Il sert de tiers à cette confrontation dans l’espace clos. Il intervient lors d’une situation dans laquelle il n’est pas directement impliqué.

  • Knock out (K.O.)

C’est la mise hors de combat de l’adversaire par un ou plusieurs coups. Cela peut être le but recherché. Mais lorsqu’il est subi, l’échec est mis en évidence. Cette mort symbolique représente la toute puissance par rapport au risque.

  • La stratégie d’actions

Chaque boxeur se retrouve seul pour proposer une action d’attaque ou de défense. Personne ne peut compter sur le soutien d’une équipe ou d’un groupe de pairs. Malgré sa force et sa puissance, le taureau sort rarement vainqueur de l’arène. Alors, le respect des règles impose l’élaboration d’une stratégie pour sortir vainqueur de la situation. Chacun pourra tirer profit de sa morphologie physique en prenant en compte celle de l’adversaire. Il est donc important de prêter attention à l’autre sans le sous-estimer ni le surestimer.

  • L’entraîneur

La compétence essentielle de l’entraîneur, notamment en boxe, est la maïeutique, dans le sens où il aide le boxeur à développer lui-même ses qualités physiques, techniques et tactiques. En effet, les adolescents supportent souvent mal de recevoir une transmission de savoirs. Mis à part l’apprentissage des fondamentaux, c’est-à-dire les règles, la mission de l’entraîneur réside dans l’analyse des situations vécues par le boxeur. Ainsi, il aide celui-ci à repérer ses manques et lui donne envie d’apprendre à y remédier. Il respecte les choix du boxeur et le protège, le cas échéant, en jetant l’éponge.

Il est vrai que cette définition est subjective et partiale. Mais c’est sur elle que nous avons axé nos objectifs thérapeutiques.

 

  1. Les objectifs de soins

 

De par cette activité, nous étions dans une ambiance angoissante, nous pouvions ainsi aider l’adolescent à :

* Maîtriser ses angoisses.

* Canaliser ses pulsions agressives s’il est dans le passage à l’acte mais aussi s’il est dans

l’inhibition.

* Positionner des limites à ceux ayant un sentiment de toute puissance, autrement que par les

interdits habituels de la vie quotidienne (collectivité, société, etc.).

* Respecter des règles, des consignes données pour mieux progresser mais aussi pour se

protéger. Cela revient à mettre en évidence que la loi sert à protéger le collectif et l’individu

en tant que tel.

* Relativiser un sentiment de toute puissance. La loi du plus fort prend tout son sens dans la

pratique d’un sport à règles. Ce n’est pas nécessairement le plus fort physiquement qui sortira vainqueur des jeux d’opposition.

* Comprendre et à accepter que les adultes ne sont pas forcément intrusifs dans leur espace.

Leurs interventions et leurs conseils n’ont pour but que de les aider à développer eux-mêmes des stratégies.

 

  1. Le déroulement de l’activité

 

L’activité se déroulait dans la salle d’entraînement du club pendant 1 heure 30 minutes. Un créneau horaire était réservé pour sécuriser les 4 adolescents prévus. Elle était animée par un ancien boxeur de venu éducateur sportif.

Le rôle des 2 soignants consistait essentiellement en l’observation et en la médiation. Nous reprenions les attitudes immédiatement ou de façon différées selon la situation.

Au retour dans l’unité de soins, un temps de paroles était réservé aux adolescents pour verbaliser leurs ressentis.

La séance se déroulait comme un entraînement (échauffement, jeux d’opposition, assouplissements au sol, relaxation, douche).

La Fédération française de boxe a élaboré un ensemble de jeux d’opposition ne mettant pas en danger les jeunes en initiation. La méthode pédagogique favorise l’expression individuelle dans le déroulement des jeux.

De brèves consignes pouvaient être données à l’intervenant sportif au jour le jour en fonction de l'état psychique de chacun des adolescents (éviter l’affrontement direct, insister sur le respect des consignes, éviter de mettre tel adolescents en face de tel autre, etc.).

 

  1. L’apaisement de Jean

 

Cette activité n’a hélas duré que 2 ans. Un changement de médecin chef, une orientation différente des soins, nous ont contraints de raccrocher les gants.

Parmi les 5 adolescents qui ont bénéficié de ce soin, Jean est celui dont les bénéfices ont été les plus visibles.

Jean est un lycéen de 17 ans, grand et athlétique. Il souffre de phobie scolaire et d’inhibition majeure mais avec parfois des passages à l’acte très violents.

On peut dire que Jean ne collaborait pas beaucoup à ses soins. La plupart du temps, il ne répondait que par oui ou par non à nos sollicitations. Mais il accepta volontiers de participer au groupe boxe.

Durant les premières séances, il participait activement aux jeux d’opposition. Il montrait d’ailleurs de réelles capacités de réaction. Il n’avait pas d’inhibition psychomotrice. Mais il refusait catégoriquement, dans la progression, les jeux où il devait y avoir un contact même minime comme s’emparer du foulard de l’adversaire ou de lui toucher une zone sur le maillot.

En revanche, il assurait pleinement la fonction d’arbitre. Il n’avait aucune difficulté à se faire respecter ni pour attribuer les points selon les consignes.

Dans les phases de frappe dans le sac, Jean impressionnait les autres adolescents par sa force et sa rapidité de bras. Lors du temps de paroles, ils ont pu exprimer leurs craintes vis-à-vis de Jean. Ainsi, ils ne constataient jamais ses décisions d’arbitres. Jean, quant à lui, ne laissait toujours pas apparaître la moindre émotion.

Un déclic s’est enfin opéré. Dés le début, l’éducateur sportif avait expliqué que le sac dans lequel ils frappaient, était rempli d’eau pour éviter les blessures aux mains. Certaines consignes leur permettaient de frapper très fort dans le sac. Alors que le groupe cherchait visiblement à crever ce sac à eau, Jean s’est inquiété sur la solidité au bout de 3 à 4 séances.

Nous avons alors demandé à l’intervenant, les séances suivantes, de proposer des consignes sur la variabilité de puissance d’impact dans le sac. Le travail au sac se complexifiait de plus en plus et nous renforcions positivement toutes consignes réussies. Après quelques séances, Jean maîtrisait la puissance de ses coups même s’il ne réussissait pas la consigne. Il commençait donc à exprimer son agressivité autrement que par la violence. Parallèlement, Jean investissait timidement le temps de paroles. Il arrivait à exprimer un ressenti sur certaines phases de l’activité.

Il finit par accepter de participer aux jeux d’opposition avec l’intervenant comme partenaire.

Ces gestes étaient beaucoup trop retenus si bien qu’il perdit tous les exercices. Il a pu enfin verbaliser, par la suite, qu’il avait peur de ne plus pouvoir s’arrêter s’il commençait à frapper.

Il avait peur de sa propre violence.

Par la suite, les choses s’étaient vite accélérées. Jean était plus détendu. Il s’amusait des situations drôles que l’on pouvait rencontrer. Il acceptait de plus en plus souvent d’affronter d’autres adolescents dans des petits assauts dirigés.

Ses verbalisations devenant de plus en plus personnelles, nous lui avions alors proposé un suivi individuel avec un psychologue du service.

 

  1. Conclusion

 

Cet atelier boxe, avec toutes les sécurités environnantes, avait permis à Jean de surmonter, de travailler ses angoisses massives.

Certes, cette année de soins avait été jalonnée de longues absences scolaires.

Mais, il avait fait un grand pas vers la confiance en sa maîtrise de ses pulsions

 

© Sport-en-Tête